Dans le vivant de l'être

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Dans le vivant de l'être

Je veux représenter la vie, des nœuds du bois aux nœuds coulants, de la poigne à l’étreinte, de la peau de vache au cuir des bottes, de la peau d’ours aux vêtements de soie, de l’étoile qui tombe à la sève qui monte, du théâtre des ombres à la lumière de l’âme, de l’instinct de survie à la pensée des hommes, du bruit des cordes vocales à l’orchestre des sons. Les mots sont trop petits pour la grandeur du monde. La terre se débat sous les bras de la pluie, entre l’étreinte et le combat, la caresse et la soif. La pluie ne tombe pas par hasard. Les arbres rêvent par les racines. Les mimiques du vent donnent un visage aux lacs. Les arbres qui s’agitent contrefont tous les gestes, de la volée d’outardes à la main du semeur. Les jeunes trembles sourient en essayant leurs bras. Les saules pleurent près d’un bassin d’eau verte. Les épinettes grandissent par la tête. À la merci du vent, des orages, du temps, les vieux arbres trébuchent de sommeil. On les retrouve allongés dans la vase, nourrissant les fourmis et toutes sortes d’insectes, tant la vie continue. Dans l’odeur des vergers, les plus petits bourgeons aveillent vers le fruit. Le rire des ruisseaux remet le cœur à flot.

La vie ne cache pas le temps. L’âge des arbres apparaît sur l’écorce, celui de l’homme sur sa peau. La forêt lance des oiseaux où l’homme lance des missiles. Il s’éloigne de sa vie avec ses pas d’avare ramassant le butin. S’il faut détruire pour un sou, il se détruit lui-même, laissant toute la place aux marchands de canons. Je parle avec un jardinier aux sourcils de fougères, aux oreilles en choux-fleurs, aux mains en forme de bêche. Un portable pour lui est l’arrosoir qu’il ballade. Il syntonise les nuages pour connaître le temps. C’est le jardin qui parle. Lui demeure taiseux. Les feuilles dansent dans le bal des arbres. La pluie fait la musique. Il faudrait que chaque enfant ait son arbre et chacun sa chacune. Il faudrait. Il faudrait. Les mots se pointent à défaut d’autre chose. Je voudrais que le temps me berce quelque fois. Il fait silence tout soudain. Le vent se cache ou bien se couche. Les feuilles respirent la lumière. Le vent passe sur la pointe des pieds. Pénétrant dans la terre, le ciel se perd en petites gouttes liquides. Les fleurs baissent la tête. On m’a prescrit des sous. Je ne veux que des sons, la musique du cœur, un concert de feuilles, un concerto de vents, une fanfare d’aubépines, des mots trempés dans le vivant de l’être.

Jean-Marc La Frenière

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