L'Arménie

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L'Arménie
OSSIP MANDELSTAM (Traduit du russe par François Kérel)
 
I
Un taureau terrifiant avec trois couples d’ailes,
C’est l’idée qu’on se fait du travail par ici,
Et gonflées de sang vénéneux
Les roses d’avant l’hiver s’épanouissent.
II
Tu berces la rose d’Hafiz,
Tu soignes les enfants et les petits des bêtes
Et tu respires par les épaules octogonales
D’églises rustiques au front de taureau.
-
Tu es toute colorée d’ocre rauque
Là-bas, au-delà des montagnes,
Mais ici à peine une image décalquée
D’une soucoupe mouillée d’eau.
III
Tu voulais des couleurs
Et d’un coup de patte le dessinateur lion
Dans la trousse s’est emparé
D’une demi-douzaine de crayons.
-
Terre des incendies de teintures
Et des plaines mortes de potiers,
Tu as subi parmi les pierres et les argiles
Les sardars à la barbe rousse.
-
Loin des ancres et des tridents
Où reposait un continent tari,
Tu as vu tous les hommes épris de vivre,
Tu as vu tous les maîtres épris de supplices.
-
Et sans que s’émeuve mon sang,
Des femmes cheminent sous mes yeux,
Simples comme un dessin d’enfant
Elles font présent de leur léonine beauté.
-
Que j’aime ta langue aux noirs présages, Tes juvéniles sépultures
Où les lettres sont des tenailles de forgeron,
Où chaque mot est un crochet de fer.
 
OSSIP MANDELSTAM
(Traduit du russe par François Kérel)
(Extrait de Tristia et autres poèmes, p.191-192, Collection Poètes russes contemporains, Gallimard, 1975)
 
glané sur le site de Marie-Paule Farina
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