Château rouge

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Photographie : André Kertesz

Photographie : André Kertesz

Un poème de Grégory Rateau que je verrais volontiers figurer dans une anthologie du Paris disparu. Il fut un temps où la ville-lumière regorgeait de prodiges et de misère, où le petit peuple écorchait encore la bonne conscience des bourgeois. A part quelques îlots rescapés de la vie d'antan, des ghettos de migrants aux odeurs de pays lointains, des squares silencieux où somnolent des sorcières poussiéreuses, de rares petits bars fréquentés par des "enchanteurs pourrissants" et des brigands de grands chemins, il ne reste plus grand chose de cette verve canaille et désinvolte qui avaient fait à Paris sa réputation de capitale libertaire.

André Chenet

J’ai suivi dans les rues de Château Rouge
Ces mirages en bandes animées
Babel des damnés
Des légumes y surnagent
Remontent les rivières lunatiques des contrées oubliées
Où les carcasses des absents chaloupent au gré du vent
Et se cognent aux échoppes des marchands ambulants
J’ai goûté dans les rues de Château Rouge
les épices charriées de-ci de-là
Des relents de grillades pour exciter ma salive
Bananes plantains en pièce montée
Coulis de rhum pour enflammer mon palais.
J’ai croisé dans les rues de Château Rouge
Des Turbans encore imprégnés de petits copeaux de sable
Des diseuses de bonne aventure
Mettant à mal des vendeurs de journaux
L’actualité dans le marc de café
J’ai entendu dans les rues de Château Rouge
Les sirènes de police versatiles
Une foule bigarrée
Un coup de karcher
Pour se refaire une virginité
Et tout assainir, tout uniformiser
J’ai pleuré dans les rues de Château Rouge
L’absence de sueur et de rires blancs ivoires
Le jour étouffé, crépitant
Noyé sous un nid de cendres
Les mirages soudain inanimés
La solitude d’une rue où la vie a été balayée
 

 

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