Chant d'amour

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Chant d'amour
C'était moi
la fille de la chaîne de lettres,
la fille qui jasait cercueils et trous de serrure,
celle des factures de téléphone,
de la photo froissée, des relations coupées,
celle qui répétait :
<Écoute! Écoute!
Nous ne devons jamais! Nous ne devons jamais !>
Ce genre de choses...
Celle
aux yeux mangés par son manteau,
aux grands yeux armés d'un bleu métallique,
à la veine fine au creux de la nuque
vibrant en sourdine comme un diapason,
aux épaules aussi carrées qu'un immeuble,
aux pieds fins et aux orteils fuselés,
un vieil hameçon rouge accroché à ses lèvres,
ces lèvres qui ne cessent de saigner
inondant les champs effrayants de son âme...
Celle
qui n'arrêtait pas de s'assoupir
comme la vieille pierre qu'elle était,
ses mains deux blocs de béton,
cela durait des heures
puis elle se réveillait,
après la petite mort,
et elle se sentait aussi douce que,
aussi délicate que...
aussi douce et délicate
qu’un trop-plein de lumière,
pas menaçant du tout,
comme un mendiant qui mange
ou une souris sur un toit
sans chatières,
sans rien qui ne soit plus honnête
que ta main dans sa main;
sans personne, personne d'autre que toi !
Ce genre de choses.
Personne, personne d'autre toi !
Ah ! Impossible de traduire
cet océan,
cette musique,
ce théâtre,
ce champ de poneys.
19 avril 1963.
_________________________
ANNE SEXTON,
Tu vis ou tu meurs, Œuvres poétiques (1960-1969), Traduit de l'anglais (États-Unis) par Sabine Huynh, Préface de Patricia Godi, des femmes Antoinette Fouque, 2022.
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