La beauté de l'âme

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La beauté de l'âme

Après les saints qui incarnent par leur être la beauté de l'âme, nous ne pouvons pas ne pas penser à ceux qui font profession de dévisager la beauté, à savoir les artistes, quelles que soient la forme et l'expression, apollinienne ou dyoni- siaque, fervente ou poignante, qu'ils donnent à cette beauté. On aurait une idée fausse de l'art si on le prenait pour une chose légère et facile, si l'on considérait les artistes comme des gens naturellement doués qui, au gré de leur inspiration, réalisent spontanément quelques œuvres de valeur. Non, l'art est d'une exigence extrême : bien des œuvres d'art comptent parmi les plus hautes réalisations de l'esprit humain. C'est pourquoi tant d'artistes sont morts jeunes, torturés par d'indicibles tourments et doutes. Dans l'extrême solitude au moment de la création, ils se mesurent non à l'aune de l'approbation humaine, mais à celle du divin. Outre les exigences techniques propres à chaque art, il y a à la base de toute grande œuvre une vision profonde que possède l'artiste. Cette vision, il ne l'atteint qu'en ayant maîtrisé les données sensibles du monde extérieur, ainsi que les ressources cachées de son monde intérieur, y compris les pulsions les plus obscures. La vision sera d'autant plus profonde qu'elle se laissera éclairer par les souffrances que l'artiste aura subies dans la vie. C'est le mariage de ces deux lumières, extérieure et intérieure, conquises de haute lutte, qui donne une authentique valeur à la création artistique dont le propos n'est pas seulement de figurer, mais de transfigurer. En elle, la nécessité et la liberté trouvent leur exact point d'équilibre. L'art, en son état suprême, est une parcelle de cette beauté à la fois charnelle et spirituelle de l'univers vivant révélée par une âme humaine. Il faut bien parler de l'âme au sujet de la création artistique. Celle-ci mobilise, bien entendu, le corps et l'esprit de l'artiste. Mais sa vraie dimension, c'est l'âme qui, ne l'oublions pas, constitue l'essence de l'unicité de chaque être. Si l'esprit raisonne, l'âme, elle, résonne. Les pièces de Monteverdi, de Couperin, de Bach, les trios et les quatuors de Beethoven, les impromptus et les sonates de Schubert, c'est l'âme qui résonne. Les touches de Fra Angelico, de Botticelli, de Rembrandt, de Vermeer, de Poussin, de Watteau, c'est l'âme qui résonne. Il en va de même des grands poètes de la voie orphique. C'est l'âme humaine qui entre en résonance avec quelque chose de pur, de grand, de sacré. Les meilleurs artistes n'affichent point leur égo ; ils s'oublient dans l'acte de créer. Chez eux, le style n'est pas une préfabrication ; le style vient après, lorsque la vision qu'ils portent est entièrement résorbée dans l'œuvre engendrée.

François Cheng

 

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