Une maison d'encre et de papier

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Une maison d'encre et de papier
J’habite une maison de peau, une maison de chair, de cuir et d’os, des fenêtres à baisers, une porte ouverte sur la vie, un escalier de mots de la cave au grenier, des lucarnes à caresses, une maison à bras, une galerie avec les pieds sur terre, une maison de bois, d’écorce de bouleau pour faire des canots, une maison avec des branches pour les nids. Un chien nous fait tata dans la niche du cœur. Les plantes du salon ont une voix gutturale. Un chat miaule dans ma gorge. Les cordes vocales résonnent comme celles d’un piano. Les meubles déraisonnent. Des colombes voltigent entre les colombages. Une lampe éclaire le cœur ensanglanté des roses. Leur tige bascule du côté de la vie. Les pétales tombent des tapisseries et vont rejoindre les fleurs du tapis. Sur l’étagère du haut un troupeau de livres ruminent une herbe lexicale, laissant des bouses poétiques sur le plancher des vaches. Le ciel sert de toit. Les murs tiennent avec de la colle blanche d’ébéniste, quelques mots en forme de clous, de l’encre et du gyprock, des vis et des virgules. Les oiseaux lorgnent entre les murs du paysage. Des petits bruits accompagnent ma voix, le cliquetis de la porte, le ronron du frigidaire, le robinet qui fuit, les pas gris des souris, les craquements du lit. Le vent chatouille les petits poings de l’herbe. Lorsque je souffre d’insomnie, mes mains dessinent le sommeil. La page est un lit. C’est un meuble verbal. Ses craquements font l’amour. Les vêtements des morts hantent les garde-robes avec les vieilles valises gonflées de souvenirs. Les souliers vides attendent le marcheur. On est si peu de choses à côté d’une larme. Quand plus rien ne s’adresse à personne, je cherche le mot juste. Je traverse la mer pour trouver une source. J’essuie la poésie avec le linge des douleurs. Je passe le balai entre les phrases et les minous de poussière. Je fais le ménage du cerveau. Je fais la toilette des mots comme on faisait pour les morts avant la crémation. J’ouvre les mains pour être au monde. J’ouvre les yeux pour le savoir. J’ouvre les bras pour l’accolade. Je sème des mots comme des fleurs. Je les arrose comme des plantes. Je bêche l’écriture comme on fait d’un jardin. La langue dans les langes, j’ai appris à parler le langage de ma mère, ma langue maternelle. J’ai connu la pauvreté qui mendie, la faim qui ronge un os, la misère qui enlève ses loques. Trop de portes se ferment devant les indigents. Ils sentent la fatigue et meurent devant les yeux des policiers. Je les ouvre toutes grandes pour aspirer le soleil. mettre les cœurs à l’abri. J’écris avec une grammaire teintée du sang des hommes.
 
Jean-Marc La Frenière
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