Les marcheurs de rêve: Yves Heurté

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Les marcheurs de rêve: Yves Heurté

Yves se présentait ainsi sur le site Francopolis:

"Un ami m'a dit: " Au fond, tu es un manuel qui a mal tourné " C'est vrai. J'ai tout de l'artisan qui fait des chaises quand il en a besoin.

Adolescent sous le nazisme, je ne pouvais confier mes " grosses bêtises de guerre" qu'à mon Journal de Nuit qui aura attendu soixante ans avant d'être enfin publié par un éditeur anglais.

Jeune homme, la fille dont j'étais amoureux avait décidé de sauver mon âme en péril en faisant de moi un comédien dans une troupe d'évangélisation. (oui oui ! Hélas, j'étais si mauvais sur scène que j'aurais fait marrer le Christ en croix. On me relégua donc à rédiger des bouts de dialogues et mon incapacité de comédien donna un tâcheron dramaturge.

Enfin, petit bourgeois épris de bougeotte, devenu un travailleur manuel des pieds si j'ose dire, j'allais traîner mes pénates et mes écrits dans les déserts, quitte à en ramener des sacs de mots brûlants, difficiles à traîner chez les éditeurs. Médecin et homme de village jamais achevé, j'ai pu finalement pallier à cette rusticité en me bricolant une prothèse littéraire d'une quarantaine de bouquins et d'une trentaine de textes de théâtre ou livrets d'opéra.

Je suis bon pour mourir dans les draps des mêmes mots dans ce même village avec la même femme. En attendant, je fais ce soir mon devoir de Francopolis devant mon pré où des pouliches se poursuivent en un train d'enfer en se souciant comme Colin tampon de mon petit galop littéraire.

*

Une petite et rapide webographie d'articles ou de lieux qui lui sont consacrés:

Son site :
http://yves.heurte.free.fr/

Un article de Juliette Schweisguth sur Francopolis: à cette adresse : http://www.francopolis.net/francosemailles/yvesheurte.htm
Yves Heurté, l'homme de toutes les générations

Et une mini-thèse sur son oeuvre à cette adresse http://jeunet.univ-lille3.fr/auteurs/heurte01/sommaire.htm

Yves Heurté : des livres pour résister
par Jean-Christophe Angelo (Maîtrise SID, 2001)

un article de Pierre Bachy sur son site à ces adresses : http://bachy_pierre.blog.lemonde.fr/bachy_pierre/2004/12/heurt_yves.html et http://users.skynet.be/pierre.bachy/heurte-gensmontagne.html
Heurté Yves
Vous, gens de montagne

Un article de Thierry Guichard : Yves Heurté Se libérer soi-même, à cette adresse:
http://www.livre-poitoucharentes.org/Pages/archives_ASR/aut1999/heurte.html

 

Et aussi un superbe disque de Martine Caplanne sur des textes d'Yves: Bois de mer, cliquez sur discographie...
http://www.martine-caplanne.com/

 

*

Chansonnette pour enterrer un poète

 
Tu me dirais " Ferme ma boite sans regret.
On se revoit dans un instant rue de la Pomme ou bien encore
dans quelque ruelle à fantômes.
On se serre au fond d'un bistrot ou sous un porche, un soir d'orage.
On sent le chien mouillé. On se dit de ces presque rien
ces poèmes de l'un à l'autre, ces poèmes de l'autre à l'un.

On parle comme des vivants de grands et de petits moments,
des disparus qui font semblant de se cacher sous la mémoire.
Nous voilà par delà les temps devenus dans un seul poème
deux hémistiches, et pour césure un adieu qui ne rime à rien ."

Tu dirais : " Je suis encore là, dans l'impasse du cimetière ,
vieux rimeur évadé des terres, mon dernier recueil sous le bras.
Ces chiens mouillés, tu t'en souviens ? On va murmurer presque rien.
De l'un à l'autre et l'autre à l'un on fera les commères.
Et la mort entre deux averses n'en saura rien. Ne pourra rien.

*

J'aimerais être sans âge, seul à la table d'une petite auberge dépassée par ma route. Je ne porterais ni projets ni mémoire. Je ne serais que l'aiguille arrêtée à jamais en pleine broderie. Peu m'importerait alors de faire l'amour, de caresser le chat ou de tirer sur l'ange. Ce serait une simple halte pour fêter l’anniversaire de mon amie l'éternité.
Elle et moi pourrions boire enfin nos whisky secs sans nous préoccuper de la fin du monde.

*

Un départ n'emporte jamais tout. Restent un bagage perdu, la poussière oubliée sur un seuil, le meuble encombrant d'un mensonge. Et toujours, dans les barbelés de l'exil, des lambeaux d'enfance.

*

Le plus vaste désert est fait de milliers de sentiers perdus. L’un allait au Golgotha, l’autre vers la soie, le sel, les conquêtes insensées d’un boiteux, une razzia de femmes ou la marche des saints. Tous chemins d’un désir impossible. Tous balayés d’un vent de mort mêlant aux sables leurs poussières. Restait un chant de route.

*

Rue des adieux

Elle est partie avec son corps.
Elle aurait pu laisser en gage
Le bout tiède d'un sein, une mèche
Folle, ou même un seul regard
Pour réveiller, un seul matin, le mien.
Et moi, Rue des adieux
je poursuis une feuille morte.
Elle aura tout gardé pour l'autre.
Ses rendez-vous manqués
Ses mains à caresse, ses cuisses
Ouvertes, ses yeux fermés
Qu'une lampe oubliée veillait jusqu'au matin.
Et moi, Rue des adieux,
je poursuis une feuille morte.
Quand elle va tourner au numéro cinquante
Je me mettrai sans honte à courir jusqu'au parc
Pour la voir un peu plus s'éloigner sous les arbres,
écouter ce silence où s'enfonce son pas.
Alors, Rue des adieux,
Je serai cette feuille morte.


Yves Heurté

Yves est athée, crin pur
jamais une prière
mais seul,
il traite Dieu avec un D majuscule
lui glisse, le dos tourné
un poème
une graine de tournesol
l'amène sur les routes du monde
qui au fond de la poche
qui perché sur l'épaule
il l'amène voir les châtaignes l'automne
quand les châtaignes sont joufflues
et cuivrées de soleil
les baleines de Patagonie
les boulevards de Paris
en ce moment même on les dits au Tibet
tous les deux
les chaussettes mouillées jusqu'à la laine
le houx crépite dans le feu
le thé complote dans la théière
le lait de yak bout
les copains rient
une timbale à la main cabossée d'étoiles filantes

aaron de najran

 

tu es le bien-aimé
court les montagnes les hommes graves
tes mains respirent la fleur d’amour
et l’ombre prie toute ta jeunesse
de clairsonner ses pas d’argent

tu n’as mille ans que depuis hier
jeune chenapan

ta bien-aimée,
ta gazelle d’or, ton éternelle
bruisse d’oiseaux et de parfums
les ruisseaux remontent le temps
d’une louange de corps serrés

tu rêves dans le rêve d’un ange femme
petit galopin

invite-toi au grand banquet
tu as le rire en sortilège
et du vin goûtu pour le feu
l’âtre s’éparpille de mystères
tes mots furieux fondus de paix

au paradis des résistants
tu combats de rutilants dragons
armé d’une plume d’écolier

marche fils d’homme marche encore
sur les mers houleuses de cailloux
pérégrine d’une pointe à l’autre
dessine le cercle infime de l’Autre
malade, pendard ou asservi
ces étrangers nos rédemptions

Florence Noël

 

Hommage à Y.H.

Il secouait l'arbre du poète
Et ramassait les pommes
Qui mûrissent maintenant
dans le foin à la lisière des tombes

Il sommeille à présent
Dans la nuit pleine de trous
Comme avec les fées du désert
Comme dans un conte
À flanc de montagne
Où les enfants reviendront
Mêler les pommes aux fées

Christiane Loubier

 

Sur mon précédent lieu de travail, il y avait, il y a encore d’ailleurs, un étage avec une cuisine assez vaste. Une trentaine de personnes peuvent s’y tenir sans difficulté. La première fois que je suis monté prendre un café, j’ai remarqué sur le mur des cartes postales épinglées. Des souvenirs de voyages exotiques que l’on envoie aux collègues ; Cuba, Martinique et plus modestement une plage au Portugal, la façade d’un pub irlandais. Également un faire-part de naissance déjà vieux de quelques années, le bébé doit maintenant être presque adolescent.

Ce sont les premiers jours de l’année 2000, janvier, il neige. C’est exceptionnel ici, la côte est à une trentaine de kilomètres, à vol d’oiseau, une étrange mesure. Sur le mur, se trouve également un poème. Je l’ai lu des dizaines de fois. Il tient accroché par une boucle, ficelle ou raphia, à la fois solide et fragile, comme le texte lui-même. Il parle d’amitié, enfin de ce que l’on ne sait plus vraiment dire, comme ça simplement. Je me demande, je n’ai jamais posé la question, qui a pu, dans quel but, vouloir donner à lire un poème, ou à travers ce texte faire partager sa détresse.

Il parle d’amour et d’humour léger à échanger, un peu comme dans les petites annonces, les nouvelles du journal, le quotidien, s’il y avait demain encore un désir toujours neuf. Je ne connais pas l’auteur, le nom me dit quelque chose dans sa percutante brièveté : Yves Heurté.

Gilain

 

A Yves Heurté

Dans l’accomplissement
De l’être
Il y a le sentiment
Que tout finira un jour
Par disparaître

Dans l’accomplissement
De l’être
Il y a le sentiment
Du voyage
Quand le cœur bat
La peau des rêves

Dans l’accomplissement
De l’être
Il y a la poussée du sang
A chaque pas qui tranche
A chaque mouvement du cœur

Dans l’accomplissement
De l’être
Les rêves
au bout des lèvres
Se prononcent comme
des chants d’amour 

Éric Dubois

 

Biographie :

D’origine bretonne, né en 1926, il fit ses études de médecine à Bordeaux. Il fut médecin en montagne de 1953 à 1988, dans les Pyrénées.

« J'ai vécu. Tantôt médecin de villages en montagne, tantôt coureur de chemins aux quatre coins du monde, j'ai eu la chance de traverser les désastres de ce temps sans y laisser ma peau, ni même toute espérance, bien que, comme tant d'autres, j'ai dû pour suivre pas mal de leurres pour quelques vérités vite envolées. »
Vous gens de montagne », éd. Tisserand, 2004 )

Yves Heurté est décédé le 19 février 2006.

 

Bibliographie :

Romans

- La Ruche en feu, éd. Gallimard, 1975
- La Nuque raide, éd. Entente, 1975
- Leçon de ténèbres, éd. Arcantère, 1988, puis réédition
- Le Passage du gitan, éd. Gallimard, coll. Page Blanche, 1991. prix du salon du livre de Montréal
- Le Phare de la vieille, éd. du Seuil, 1995
- L'Atelier de la folie, éd. du Seuil, 1998
- Soleils noirs, éd Le Manuscrit, 2002
- Journal de nuit, Bordeaux pendant l’Occupation, éd. Allan Sutton, 2003
- L'Homme qui marchait, éd. Nicolas Philippe, 2003
- Vous gens de montagne, éd. Tisserand, 2004

A paraître :
- Le pas du loup, Tisserand, 11 avril 2006

Récits pour pré adolescents et enfants:
- Les chevaux du vent, éd.Milan, 1995
- L'Horloger de l'aube, éd. Syros/Amnesty, 1997
- Le Livre de la lézarde, éd. du Seuil, 1998 (album)
- Au bois sauvage, éd. Sedrap, 2000
- Danse avec la mer, éd. Sedrap, 2000 et 2003 (conte)
- Le forban magnifique, éd Gallimard, 2005

***

Théâtre pour adultes
- La mort à la légère, Création Théâtre sur la place, Editeur Rougerie.
- La nuit, les clowns, Création Théatre national du petit Odéon, Ed de l'avant-scène n° 604
- Jeff (texte écrit avec la collaboration de jeunes toxicomanes), Création Comédie de Lorraine, Editeur Rougerie.
- Le rêve du rat, Création : à Paris : Le chariot et en province le Théâtre sur la place, Editeur Rougerie.
- La femme nue, Création : France culture, Editeur Rougerie.
- Passion, Création : Les Grandes Marionnettes de Metz, Editeur : Sud
- Voccero, Création : Lectures au TEP, Editeur Rougerie.
- Passion profane, Créations nombreuses., avec ou sans musique, Editeur Rougerie.
- Le ciel ouvert, Création : France-culture, puis la Comédie de Lorraine, enfin en Allemagne , Editeur Rougerie.
- Requiem sous les étoiles, Editeur : Archipel, revue internationale belge.
- Le bistrot fantôme, Création :primé comme pièce en un acte à Metz. Pas créé sur scène. Editeur : chez l’auteur.
- ô douce nuit, Editeur Rougerie, 1989.

Théâtre pour jeunes comédiens:
- L'horloger de l'aube, Ed Syros jeunesse
- La Noce tomate,2001, Création : Festival du Marais (Paris, 1983), Editeur Magnard.
- Le monstre de Javère, 2001, Ed Magnard.
- Abracadabra 2000, 2001,Création : à Lisbonne, Editeur : Ed Magnard.
- Le petit roi de rien, 2000, (version théatrale) , Ed Magnard.
- Carolus nu , Ed Magnard.
- Les draps de Gringogne , Ed Magnard.

Théâtre pour jeune public:
- Ris donc, paillasse, Création : Les chimères, Editeur : chez l'auteur
- La roue carillon, Création : La Licorne, Editeur : chez l'auteur
- Le petit roi de rien, Création : Multiples en France et en Europe, Editeur : Magnard

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Poésie pour adultes :
publiée aux éditions Rougerie, chez divers éditeurs, et dans des revues
- La noce solitaire, 1987
- Point d’orgue
- Grenailles
- Les mers intérieures, Sedrap
- Dans la gueule d'ombres, 2004, éd. Editinter, Prix de l'Edition du Val de Seine
- Mémoire du mal, éd. en Forêt / Verlag Im Wald (éditions bilingues allemandes)

Poésie pour enfants:
- Chocolats chaud et autres poèmes sucrés, éd. Milan. Prix Sadeler 2002
- Bois de mer, éd. Cheyne, 2003. un Cd de poèmes avec Martine Caplanne, interprète et compositeur
 

 

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