Les marcheurs de rêve: Francois Augérias

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Les marcheurs de rêve: Francois Augérias

" Découvrir Augiéras, c’est se plonger dans sa grotte de Domme où il vécut jusqu’à la fin de sa courte vie, s’exerçant à la méditation solitaire. C’est aussi pérégriner avec lui sur le mont Athos où il se cherche un destin d’anachorète profane, c’est marcher sur le sable du Sahara pour contempler un ciel criblé d’étoiles… Augiéras est comme un cierge secret que l’on se passe en relais, de main en main. A sa suite se dégage une tribu de disciples bigarrés. "

Maxime Dalle

Écrivain français, François Augiéras est né orphelin le 18 juillet 1925 à Rochester, près de New York (États-Unis). Son père, pianiste et professeur de musique en poste aux Etats-Unis, vient de mourir d'une appendicite purulente. En novembre de la même année, l'enfant et sa mère, dessinatrice de mode d'origine polonaise, embarquent sur le paquebot France pour rentrer à Paris. "Je n'ai pas eu de père: je cherche l'homme, la protection de l'homme. Je n'ai pas eu de frère: je cherche les garçons de mon âge comme un puissant aimant", dira-t-il plus tard.

Après une petite enfance parisienne, Augiéras part à huit ans pour Périgueux, où sa mère s'installe auprès de sa belle-famille pour peindre sur porcelaine. À treize ans, il cesse ses études pour suivre des cours de dessin. Il adhère un temps au mouvement pétainiste La Jeunesse de France et d'Outre-mer, non pour des raisons politiques mais pour retrouver une forme de fraternité sauvage, au contact de la nature, avec des garçons de son âge. En 1943, il intègre une organisation proche du scoutisme, Les Compagnons de France, où il encadre des enfants délinquants et travaille dans des fermes.

À l'été 1944, avec l'accord des FFI de Périgueux, il quitte la ville et gagne Toulon pour s'engager dans la marine, au 5e dépôt des Équipages de la Flotte. Il rejoint le Camp Sirocco d'Alger. Réformé, il demeure environ un an en Algérie, séjournant dans un monastère trappiste de Tibarine, puis à El Goléa, dans le bordj de son oncle Marcel Augiéras, colonel en retraite. La figure ancestrale et mystagogique de cet homme jouera par la suite un rôle majeur dans l'imaginaire et toute l'œuvre d'Augiéras.

En 1950 il adresse à plusieurs écrivains d'étonnants fascicules aux pages de couleur grossièrement reliées racontant, en une "tapisserie de mots", l'histoire pathétique d'un enfant esclave du plaisir d'un vieux militaire. André Gide montre un vif intérêt pour ce récit troublant d'une éducation érotique et spirituelle dans un huis clos saharien, ouvrant la voie à une littérature nomade où l'individu s'interroge sur son devenir en instaurant un nouveau dialogue avec l'univers. D'abord publié chez l'éditeur Pierre Fanlac de Périgueux, Le Vieillard et l'enfant est livré au public dans sa version intégrale en 1954 aux Éditions de Minuit, sous le pseudonyme d'Abdallah Chaamba.

Commence alors une existence nomade et marginale au cours de laquelle se multiplient les errances en Afrique et sur le pourtour méditerranéen. Insaisissable et secret, ce nomade antichrétien, toujours pauvre, ne cesse de voyager: Grèce, Sénégal, Mauritanie,... En 1958, il s'engage quelques mois dans une compagnie saharienne de méharistes, puis assure la garde au fort de Zirara. L'année suivante, il séjourne un temps au Mali et publie son deuxième livre, Voyage des morts, toujours sous le nom de Chaamba.

Une "Communauté Augiéras" commence à s'organiser autour de la revue Structure, créée par Frédérick Tristan, et à l'occasion de différents périples initiatiques, notamment le séjour des Eyzies en compagnie de Paul Placet, un jeune instituteur qui deviendra plus tard le biographe d'Augiéras et diffusera son œuvre après sa mort.

À trente-cinq ans, en 1960, il épouse sa cousine, employée des PTT dans le département. Il vit un temps avec elle à Périgueux mais leur union ne dure pas (le divorce sera prononcé en 1969). Il se lie avec un petit groupe d'amateurs d'art et de peinture, sillonne comme toujours à pied la région, investit les îles de la Vézère, dort dans des fermes abandonnées. Quand il n'écrit pas, il peint des tableaux abstraits ou réalistes. Il continue de voyager, selon la rumeur en Grèce, et à Tunis où ses œuvres sont exposées. On le rencontre à la communauté de l'Arche de Lanza Del Vasto, dans l'Hérault.

Après L'Apprenti sorcier (sans nom d'auteur, 1964), où il raconte les scandaleuses amours, plus ou moins sado-masochistes, entre un adolescent, un prêtre et un petit porteur de pain, il entame la rédaction de son autobiographie. Très classique dans son ordonnance chronologique, Une Adolescence au temps du Maréchal et de multiples aventures (1967) est le premier livre signé de son véritable nom.

Ses multiples retraites parmi les moines orthodoxes du mont Athos lui inspirent Un voyage au mont Athos (1970), "séjour au Pays des Esprits selon la plus stricte orthodoxie bouddhiste et pythagoricienne", qui traite notamment de la réincarnation et du plaisir physique comme méthode de purification de l'âme. Approfondissant son expérience de la spiritualité et de la vie mystique, du point de vue de la sensualité, il y exalte surtout la purification de l'âme par la jouissance corporelle, qui permet d'accéder au royaume des énergies fondamentales.

Mais sa santé décline, en août 1966, un premier infarctus l'envoie en maison de repos à Domme, dans le Périgord. Puis, malade et totalement indigent, il se retire dans une grotte qu'il transforme en sanctuaire. Là, obsédé par la destruction de l'Occident périmé des voix chrétiennes il se proclame le précurseur d'une nouvelle race aux pouvoirs psychiques illimités, dont l'avènement doit coïncider avec la fin des philosophies et des religions. Il rédige dans l'enfance et le silence du monde Domme ou un essai d'occupation (édition posthume en 1982). Les autorités locales s'émeuvent de ce SDF, la population se plaint et les gendarmes lui rendent visite.

Zirara (1958), Le Voyage des morts (1959), L'Apprenti sorcier (1964), Une adolescence au temps du maréchal (1968), Un voyage au mont Athos (1970), tous ses livres célèbrent l'imminence d'une union de l'homme avec les forces naturelles. Cette orientation génétique s'exprime également sur un plan culturel; le rejet d'une "civilisation dégradée" conduira Augiéras à rechercher les sources vives d'une "esthétique barbare". En fait, l'auteur se cache sous des masques successifs, et il se prend au jeu d'une narration plus ou moins fidèle à la réalité, incarnant à lui seul plusieurs figures symboliques, tous ces personnages qui mettent en scène la fiction théâtrale d'Augiéras "l'écrivain barbare en Occident". Tour à tour jeune indigène parmi les tribus du désert saharien, moine apprenti au milieu des ermites du mont Athos, ou dernier homme parmi les indigènes d'un hospice, il s'invente une biographie imaginaire en même temps qu'il l'écrit. De nombreuses photographies le montrent déguisé en Lawrence d'Arabie; d'autres le font ressembler à quelque sage errant, prêtre ou alchimiste des temps modernes, directeur de conscience d'une secte immatérielle. Rarement une œuvre ne se sera autant nourrie de la vie de son auteur, la première transfigurant la seconde, en lui insufflant la magie du rêve, à tel point qu'Augiéras est devenu de son vivant l'hôte de sa propre légende. Saturée de références païennes, animée d'un élan panthéiste, tendue vers la récupération d'énergies cosmiques perdues, l'œuvre d'Augiéras reste suspendue au bord d'une révélation qui ne vient pas et qui seule donnerait un sens nouveau à l'aventure humaine. La prose poétique, au diapason du "pur dialogue des arbres avec les astres", est l'espace sacré d'un vagabondage spirituel: le poète, en ce monde oublieux du mystère, officie secrètement afin de renouer avec l'inconnu.

Également peintre, Augiéras réalise des fresques empreintes d'une religiosité terrienne et des scènes allégoriques sur bois, papier ou étoffe, qu'il qualifie d'"icônes modernes". À travers sa peinture aussi, nous sentons qu'il se rapproche du monde païen; ses lavis, ses huiles abritent des personnages comme détachés du temps, dont le regard semble hésiter entre l'indifférence et la colère. Les "icônes modernes" d'Augiéras ressemblent à ses livres: elles témoignent d'un même désir sauvage et nocturne de recréer l'enfance du monde, à travers le sourire émerveillé de son silence.

Miné par la malnutrition, les épreuves et la maladie, il est hébergé en 1970 et 1971 dans une maison de repos puis à l'hospice de Montignac. François Augiéras, ce "passager des mots" (Jacques Lacarrière), qui se voulait médium et pour qui tout grand art était nécessairement un "art d'apparition", succombe à un troisième infarctus au CHU de Périgueux le 13 décembre 1971, à l'âge de 46 ans.

J. de S.,

 
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