Le jardin des hommes

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Le jardin des hommes

J’enfonce la lumière d’un clou sur une planche de nuit. Ais-je fini de faner? Le jardin se fait vieux comme mon visage. Ce que je sème dans les rides aura-t-il le temps de fleurir? Les fourmis grouillent dans mes jambes, les prenant pour des pilons de bois. J’avance à l’intérieur de moi. Je ne veux plus peser mes mots mais hurler comme une bête, arracher mes habits, faire rouler mon rire d’une syllabe à l’autre, verbaliser le monde, enlever les œillères qui nous ferment les yeux, déchirer les drapeaux, tremper ma langue dans l’amour.

Mes yeux, sous le masque des lunettes, transforment le paysage. Mes gestes dépassent la fiction. Je me moque des lois et des ukases d’occasion. Les graines que je sème font déjà des racines. Le ciel déploie son drapeau rouge. La terre fait son testament. Les phares des autos éclaboussent la rue. La faim met son assiette sur la table. La soif boit à même le goulot. La boite de l’œil se ferme pour la nuit. Un homme s’y cherche comme un violon cherche un archet, une poignée de main au bout des bras, un passe-partout dans un trousseau de serrures. Faut-il pleurer? Faut-il en rire, changer en larmes les sourires? Je renais chaque matin et charge mes batteries. A chaque nuit, j’ai quinze ans. Toutes les épines vont à l’école des buissons. J’ai peur de voir quand mes regards se posent sur le gouffre des yeux. L’éternité se cache dans le corps des secondes. Tous les itinérants portent des loques d’infini. Je garde une guenille à la main pour essayer les tables et les comptoirs de bar, les fenêtres et les meuble du cœur.

Dans le jardin des hommes la fleur et le fumier se mélangent. J’embrasse sur la joue le matin rasé de frais. J’oppose à l’orgueil des hommes l’humilité des choses, le piquant des épines au sucre des framboises. De père en fille, de mère en fils, il y a tant de caresses amputées, de gestes oubliés, tant de mots que l‘on n’ose pas dire. J’ai de l’encre à la place du sang. Une grammaire me sert de cerveau, l’alphabet de mémoire. J’ai pris de l’âge mais les rides sont les mêmes sous un masque ou un autre. Quand la nuit tombe, je dois la ramasser, glisser mes doigts dans la mémoire et la terre glaise. Elle frétille comme une truite dans la nasse des rêves. Je ne quitte pas le désespoir mais je garde espoir. Seul comme une pluie qui perd ses gouttes, seul parmi les hommes qui ne se nourrissent de rien, quelques larmes d’eau fraîche, un quignon de pain noir, une bouffée d’espoir. Seul parmi les hommes qui vivent en folie, enfant aux cheveux blancs, je viens comme ce mendiant qui refuse l’aumône.

Blessé à chaque mot, mon stylo saigne sur la page. J’écris dans la blessure ou la douleur, dans le plaisir ou la douceur. Les vieux ormes rejoignent leur tombeau végétal. Les vieux hommes rencontrent les enfants qu’ils étaient. L’anarchie règne dans ma tête où je recense les idées noires. Le sang demande grâce à toutes les blessures. Lorsque mes pas ressemblent à la poussière, j’attends la venue d’un miracle. La langue ouvre ma bouche. Ma main rencontre une autre main. Je me souviens du temps où les épaules de mon père me servaient d’escalier. Je voyais au-delà de la foule. Mes regards s’enfuyaient de la cage de yeux.

Mon corps rejette l’uniforme. Mon âme est nue parmi les choses. Il y a ceux qui enchaînent et ceux qui tirent sur leurs chaines. Je suis avec ces derniers tirant du pistolet à mots, Je fais confiance aux hommes qui se tiennent debout, aux loups qui refusent la laisse. Je visite la tendresse avec des mots simples, des images d’enfant. J’aime que la lumière et la révolte se marient, que l’amour et l’amitié se tiennent par la main, la senteur des plantes puant d’humanité, les chattes et les matous qui forniquent au milieu des poubelles, les empreintes laissées par la nature, l’herbe folle que tous les vents tutoient, les femmes qui travaillent à la libération, leurs seins qui pointent sous la soie et les poils fiévreux entre leurs cuisses ouvertes.

J’ai dû mettre ma soif en pénitence, ma folie dans un coin, mon amour en avant, le rapiécer aux coudes, boire de l’eau au lieu du cidre, de la bière ou du vin. Le tapis de la vie, j’en pousse la poussière, j’en tousse le pollen, j’en trousse le jupon. Je voudrais qu’il apprenne à voler. Agrippé à la rocaille du monde, je respire les molécules du printemps, le rouge des sanguinaires, le gris des pissenlits, un slip de mousse noire entre les jambes du présent. Je suis couvert d’immondices ou d’azur. Ça dépend des journées. La maison que j’habite s’étire à l’infini. À l’automne, les arbres se dévêtent de leur robe de feuilles. L’oreille collée au sol, les yeux noyés de ciel, j’arrive seul avec des mots de sel pour épicer la vie.

De la main qui écrit, il faut faire une caresse, des mots qu’elle rapporte en faire des baisers, d’une phrase une étreinte. Je voudrais donner la mer mais l’eau de mon enfance n’était qu’une rivière. J’ai mis du temps à remonter le fleuve jusqu’à son estuaire. Je me souviens du jour où les vagues salées effacèrent mes pas. Dans les ruelles sales, je m’exprime par l’urine et l’injure. Devant la mer, je rêve d’aventures. Je suis le mousse aux mots doux et le marin verbal. Livré à la divagation du monde, je me saoule de mots. Je m’enivre d’images. J’habille ma folie de souvenirs douteux.

Ma vie sera toujours une histoire de pauvres qui respectent le monde. Les trop pleins le sont parce qu’ils pillent la nature.  Elle sent le vent la pluie, la neige et le poil des bêtes. J’ai appris pas à pas à faire une route, à me tracer une trail dans la forêt des mal aimés. Je continue mot à mot à remplir des pages. Les livres que je lis me servent de repères. D’une galaxie à l’autre, les larmes d’un enfant consolent ce vieillard que ses vieilles cicatrices continuent de faire souffrir. Tout ce qui vit est en contact avec un autre monde. Chaque plante est la semence d’une autre. Chaque pas nous trace le chemin. Chaque atome d’atome est le début d’un atome. Il faut se séparer de soi, ses valises et ses masques, rendre le noyau plus nu qu’une amande, que le pommier retrouve ses pépins et que l’âme s’explique par les gestes du corps. L’abeille au fond de la rose s’imprègne de pollen. Chaque atome d’une aile s’apprête à s’envoler. La nuit, le soleil joue avec les ombres. La beauté des détails apparaîtra bientôt.

Il ne suffit pas d’aimer les mûres et les framboises, il faut apprivoiser les ronces et les épines, saigner du bout des doigts pour atteindre le fruit. Avec l’âge reviennent les mots simples, la naïveté d’enfant, les épaules du père, les branches de pommier. Je veux voir plus loin que l’œil ne peut voir, rendre visible l’invisible, entendre l’inaudible. J’écoute le crissement des cigales, les feuilles qui susurrent, les vagues divaguant. C’est la terre qui chante. Il faut avoir l’oreille bien aiguisée quand elle retient son souffle. J’essaie d’écrire ce que veulent dire les plantes, ce qu’apportent au vieillard ses souvenirs d’enfance. Sur la mer ou l’étang, l’eau et le ciel se mélangent. On ne peut pas tout voir. De la beauté se cache derrière les apparences. Du fond des galaxies, ce sont les étoiles mortes qui brillent le plus. Le plus petit atome participe à la grandeur du monde. Les fleurs retiennent leur parfum comme les mots souvent cachent leur sens derrière une métaphore.

J’ai vu ma mère morte bien avant qu’elle le soit. Puis je l’ai vue renaître dans les yeux de mes enfants et les pas titubant de leur progéniture. J’entends encore mon grand-père jouer de la musique. C’est avec l’oreille de mon père que j’écoute Ellington, Parker, Gonzalès et Basie. Je me souviens d’un peintre dessinant la beauté et de sa femme hantée par la couleur des mots. Je ne vois pas la mer mais j’en respire le sel, le varech iodé, l’odeur des poissons dans la lumière noire. Chaque matin, la rosée laisse aux feuilles une larme d’amour.

À notre insu, les enfants nous observent. Ils voient sans être vus mais ne retiennent souvent que le pire de nous. L’éternité dépend de chaque instant, chaque moment, chaque minute. La musique est aussi bien la flûte que le bruit d’une goutte d’eau ou celui d’une pelle agrandissant l’ornière, l’orchestre du matin, l’oratorio du soir. L’ivrogne dans sa crasse a la même soif que celle d’un enfant. Devant la beauté du monde, nous sommes tous des mendiants. Certains se déguisent mais d’autres tendent la main. Le premier mot est comme le premier geste d’un fœtus. Toutes les mères ignorent son destin mais l’imaginent beau, de faïence non de boue, de pétale non d’épine. Ma vie sera toujours une histoire d’amour.

Chaque question est en quête d’une réponse. Chaque regard cherche le paysage. Chacun cherche l’âme-sœur. Tous les matins annoncent une merveille, chaque geste un miracle. C'est à travers les barreaux qu'un prisonnier reprend sa marche. L'homme n'a pas besoin d'un Dieu. Il a besoin des hommes. S'il y a de la tendresse dans les livres d'enfant, il y en a aussi parmi les poings levés, la colère des pauvres. Le lit servant pour les amants est-il le même pour les mourants, les cris d'extase, le dernier râle, les mots d'amour ou les blasphèmes. Il est facile de souffrir. C'est le bonheur que je cherche.

 

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

 

 

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