Initiation

Te souviens-tu de la fragrance

des lilas mauves après la lente pluie printanière

te souviens-tu de la lune blanche comme une barque égytienne

à travers les vitres de la fenêtre mystérieuse de ta chambre

te souviens-tu de ton premier amour

des mèches rousses sur son grand front constellé

Te souviens du monologue monotone de l'horloge

sise sur le marbre gris d'une journée sans fin

te souviens-tu des albums poussiéreux

que tu feuilletais dans un cagibis obscur

te souviens-tu de tes haltes au bord de la rivière

à la surface de laquelle mouchetaient les ablettes

te souviens-tu de la boue sur le chemin de l'école

où tes pas écrasaient des feuilles jaunes de marronniers

te souviens-tu des premières neiges aux impalpables flocons

et de la couleur uniforme du monde de plus en plus lointain

te souviens-tu des joies que te procuraient

la fumée des cheminées sur les toits d'ardoises au crépuscule

te souviens-tu de ces vagues de songes éveillés

qui te tenaient des heures durant dans une réalité sans consistance

te souviens des lettres de l'alphabet poisseuses

que tu tentais d'apprivoiser sur un cahier aux feuillets froissés

te souviens-viens de tes course haletantes d'animal fébrile

à travers les bosquets épineux d'une campagne inquiétante

te souviens-tu des claquements de bec terribles de la pie

de la mélodie apaisante du merle dans le vieux merisier en fleurs

te souviens-tu des chiens battus hérissés de furieuse folie

qu'il te fallait combattrre avant d'arriver sur les flancs de l'arrière-pays

te souviens-tu des griffures des brûlures et des gouttes de sang

avec lesquelles aujourd'hui tu composes tes partitions de sur-vivant?

Te souviens-tu de cette enfance vif-argent

de ses élans irréfléchis à contre-temps?

André Chenet, septembre 2020